Histoire & Patrimoine

Visitez le Katherine Dunham Cultural Center

bâtiment avec un toit au design futuriste dans un parc public
Katherine Dunham Centre Culturel, Port-au-Prince
Photo: FOKAL

Visitez le Katherine Dunham Cultural Center

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Situé sur la côte en croissant de la baie de Port-au-Prince, le quartier de Martissant était autrefois bordé de boulevards et de villas où la haute société haïtienne vivait et prospérait. Aujourd’hui, Martissant est un quartier à forte densité, loin d’être une destination touristique. Cependant, quelques lieux méritent le détour, et le Katherine Dunham Cultural Center en fait partie.

Niché au cœur du Parc de Martissant, le Katherine Dunham Cultural Center est un havre de paix, de sérénité et de vie communautaire. Il porte le nom de Katherine Dunham, danseuse et chorégraphe afro-américaine qui s’est installée en Haïti dans les années 1930 pour étudier l’héritage africain des formes de danse caribéennes. Aujourd’hui connue comme la « matriarche de la danse noire », Dunham est reconnue pour avoir introduit le rythme et la technique africains et caribéens dans le répertoire de la danse professionnelle.

La maison privée et le studio de Katherine Dunham

Lors de son séjour en Haïti, Katherine Dunham s’est liée d’amitié avec plusieurs officiels haïtiens et est devenue une importante ambassadrice culturelle du pays. Au cœur de Martissant, elle a acquis une propriété verdoyante de sept acres, qu’elle a utilisée à la fois pour elle-même et pour sa compagnie de danse basée aux États-Unis. Un hôtel y fut construit, et pendant plusieurs années, Dunham y a accueilli et diverti l’élite haïtienne ainsi que quelques invités privilégiés.

Le faste à l’intérieur de ces murs et le luxe de pouvoir se consacrer entièrement à l’art offraient un contraste saisissant avec la pauvreté qui frappait le quartier de Martissant. Aujourd’hui, ce lieu rend quelque chose en retour.

Désormais ouvert au public

Après le décès de Katherine Dunham en 2006, sa propriété a été transformée en centre culturel. Elle abrite aujourd’hui une bibliothèque emblématique, composée de cinq bâtiments conçus pour évoquer les mouvements de la danse. Cette œuvre architecturale a été réalisée par les architectes mexicains Raúl Galvan Yañez et Winifred Jean Galvan.

C’est pourquoi, vue de loin, la silhouette géométrique et fluide du centre se distingue aisément. Sur le côté droit du centre actuel se trouve la relique d’un imposant péristyle, autrefois propriété de Katherine Dunham. Elle l’utilisait durant son séjour en Haïti comme un espace dédié aux cérémonies vaudou, inspirées de ses recherches sur les cultures africaines et caribéennes.

La plupart du temps, le Katherine Dunham Cultural Center est ouvert au public. Il abrite une bibliothèque soigneusement conçue, adaptée aux jeunes enfants, aux adolescents et aux adultes. Il est possible d’y emprunter des livres moyennant une modeste cotisation. Son intérieur lumineux, accueillant et conçu de manière intuitive invite naturellement à s’installer à une table ou à parcourir les étagères. Tout y est pensé avec soin pour favoriser l’échange, la communauté et la communication.

Événements

Comme le Parc de Martissant est placé sous le parrainage de la Fondasyon Konesans Ak Libète (Foundation for Knowledge and Liberty), le Katherine Dunham Cultural Center accueille de nombreuses tables rondes, forums et panels. Tout au long de la semaine, des activités variées sont proposées aux enfants, allant des ateliers de contes aux lectures animées par des auteurs haïtiens renommés. Le centre organise également des séances de dédicaces et des conférences avec de jeunes auteurs émergents, contribuant ainsi à dynamiser la scène littéraire haïtienne.

Il y a toujours une effervescence d’activités au Katherine Dunham Cultural Center. Ce lieu d’exception, rendu possible par une femme tout aussi exceptionnelle, rend hommage à sa vie de militante passionnée, profondément immergée dans la culture haïtienne.


Rédigé par Kelly Paulemon.

Publié en octobre 2020


Retour à la Terre Mère

un homme assis à l'avant d'un petit bateau, avec l'océan et des montagnes en arrière-plan
Coucher de soleil à Baradères
Photo: Mikkel Ulriksen

Retour à la Terre Mère

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Le cinéaste Hans Augustave a un jour partagé une citation de son guide touristique en Haïti sur les réseaux sociaux qui disait : « Si chaque musulman doit aller à La Mecque au moins une fois dans sa vie, chaque personne noire devrait aller en Haïti ! ». L’histoire est marquée à jamais par le fait qu’Haïti est la première nation noire au monde à avoir obtenu son indépendance des colonisateurs. En accomplissant cet exploit, Haïti a donné l’exemple à d’autres nations. Cette émancipation a ouvert la voie à une prise de conscience noire chez les esclaves du monde entier et continue d’inspirer aujourd’hui ceux qui tentent de se libérer des schémas de dépendance et de renouer avec leur terre et leur culture d’origine, en particulier les personnes de couleur.

Beaucoup de membres de la diaspora haïtienne peuvent se reconnaître dans ce sentiment qu’Haïti est une terre si proche, mais pourtant si lointaine. Même si vous n’avez pas encore acheté votre billet pour y aller, vous connaissez les récits de la ville natale de votre famille grâce à l’histoire orale transmise par vos mères, tantes et grands-mères. Cependant, il existe des lacunes que cette histoire ne peut combler.

C’est là toute l’importance d’un retour aux sources

Que vous soyez lié à Haïti par vos parents ou autrement, ce pays devrait figurer parmi vos 5 prochaines destinations incontournables pour une raison simple : en tant que descendant d’Haïtiens, mais aussi en tant que personne noire, votre héritage imprègne cette île. Tout comme l’Année du Retour pour le Ghana et de nombreux autres pays d’Afrique de l’Ouest, Haïti peut être considéré comme un foyer loin de chez soi.

vue sur une vallée verdoyante depuis le sommet d'une montagne
Vue de Port Français, Plaine-du-Nord
Photo: Mozart Louis

Pourquoi revenir ?

Si vous avez de la famille qui vit encore en Haïti et avec qui vous restez en contact, venir en Haïti vous montrera rapidement que les appels téléphoniques ne suffisent pas toujours. Rien ne vaut l’étreinte d’un cousin qui dit toujours « Allô ! » avant de passer le téléphone à sa mère, ou la rencontre avec l’oncle au centre de toutes les histoires familiales, ou encore le fait de faire connaissance avec des voisins qui ont vu la famille partir mais qui se souviennent encore des jours passés et les regrettent profondément. Affronter ses origines, c’est aussi affronter son foyer.

Comme tout voyageur régulier en Haïti vous le dira, l’expérience commence dès que vous descendez de l’avion à l’aéroport international Toussaint Louverture (si vous atterrissez à Port-au-Prince). De la chaleur soudaine et enveloppante qui vous accueille à la sortie de l’avion, au groupe de troubadours jouant devant le bureau des douanes, tout est conçu pour vous plonger dans l’expérience de votre arrivée sur la terre de vos aïeux.

Les raisons de revenir surgiront tout au long de votre voyage. Vous les trouverez dans la chair douce, tendre et mûre des mangues Batis, ou dans les morceaux croustillants et savoureux de griot dégustés tard le soir avec des amis et de la famille, devant la cuisine d’un vendeur de rue. Si vous rentrez pendant l’été, vous aurez le luxe de goûter aux meilleurs produits frais de l’île, de participer à des événements animés — dont beaucoup se déroulent plus près de votre quartier que vous ne l’imaginez —, ainsi qu’à la haute saison des événements culturels dans la capitale. Si vous êtes en Haïti pendant l’hiver, les raisons de revenir se peindront dans les couleurs vives des couchers de soleil, dans les visages enjoués des enfants sous les lumières de Noël à Pétion-Ville, et dans l’espoir que les célébrations du Nouvel An insufflent à chacun sur l’île.

Si vous cherchez des raisons de venir visiter Haïti, le meilleur moyen est de venir les découvrir par vous-même.

femmes haïtiennes portant des produits dans des paniers sur leur tête
Vendeurs ambulants à Pétion-Ville
Photo: Franck Fontain

Que propose Haïti ?

Au-delà de ses magnifiques plages et de ses randonnées à couper le souffle, chaque recoin d’Haïti est une fenêtre ouverte sur une histoire qui a marqué les vies noires à travers le monde. Si revenir à vos racines ancestrales est une valeur importante pour vous en tant que voyageur noir, Haïti doit absolument figurer sur votre itinéraire.

La célébration de l’identité noire se retrouve dans des sites historiques comme la Citadelle Laferrière ou d’autres forts, mais aussi dans la cuisine, les danses, les célébrations culturelles, la musique et même la langue ! Haïti possède l’un des mélanges les plus uniques d’héritage africain et de saveurs et cultures contemporaines latino-américaines et caribéennes.

des personnes surfant sur une côte bordée de palmiers, avec le soleil se couchant derrière les montagnes
Surfeurs sur la plage de Kabik, Cayes-Jacmel
Photo: Verdy Verna

Quand voyager ?

Si vous voulez découvrir Haïti comme un véritable foyer loin de chez vous, février est le moment idéal, lorsque les rythmes et les épices envahissent toute l’île. Le carnaval est un événement typiquement caribéen, mais le vivre en Haïti est une double expérience unique : chaque dimanche pendant environ un mois, puis intensément pendant trois jours, Haïti devient un centre bouillonnant de célébration de la musique, des danses et des couleurs haïtiennes. En regardant de plus près, cette période revêt également une importance particulière pour la religion et la communauté vaudou, enracinées au Bénin et dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest.

Pendant le Kanaval et plus spécifiquement durant la période pré-carnavalesque, les pratiquants ou adeptes du vaudou portent leurs célébrations dans les rues sous la forme de raras, souvent mêlés aux citoyens simplement venus célébrer le Kanaval. Le rara est une danse et une forme d’expression cérémonielle profondément enracinée dans l’identité haïtienne. Sa présence dans le vaudou a joué un rôle crucial lors de nombreux moments historiques, notamment lors de la cérémonie vaudou du Bois Caïman, un événement clé dans la déclaration de l’indépendance d’Haïti.

Le rara peut également être vécu en novembre (indice : échappez au froid !), un mois culturellement et historiquement riche pour Haïti. Le 2 novembre, la fête des morts est célébrée à la fois par la communauté catholique et la communauté vaudou, ce qui se traduit par une plus grande présence et visibilité de ces groupes dans les rues et les cimetières. Novembre marque également l’anniversaire de la bataille de Vertières, un événement décisif de la Révolution haïtienne.

Il y a quelque chose d’inestimable dans le fait de finalement connaître et comprendre ses origines. Haïti se distingue fièrement comme l’une des îles les plus chaleureuses des Caraïbes, tant par sa température que par son tempérament. Les bras ouverts de la famille, des amis et des hôtes vous attendent toujours, désireux de partager avec vous leurs coins préférés de chez eux. Si vous envisagez de planifier un voyage au Ghana, au Nigeria ou dans tout autre pays africain, pensez à commencer par l’un des pays caribéens les plus afro-affirmatifs dans votre quête de découverte de soi. Selon votre point de départ, rejoindre Haïti peut être plus accessible ou abordable, mais, quoi qu’il en soit, ce sera toujours une expérience essentielle dans le parcours du voyageur noir.


Rédigé par Kira Paulemon.

Publié en septembre 2020


Krik-krak ! – La tradition haïtienne de la narration

groupe d'Haïtiens assis sur des chaises et sur un porche dans une cour
Krik-krak à Cayes Jacmel
Photo: Anton Lau

Krik-krak ! (et tim-tim !)

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« Dans ma famille, nous sommes quatre, mais quand un de mes frères et sœurs n’est pas là, nous ne pouvons rien faire… » Connaissez-vous la réponse ?

Ce que vous venez de lire est un exemple d’une captivante tradition culturelle haïtienne connue sous le nom de kont, ou « contes ». La scène dans laquelle vous entendrez ces récits commence généralement au crépuscule, lorsque les enfants quittent la chaleur de leurs foyers familiaux pour se réunir dehors et faire ce que les Haïtiens appellent tire kont — « raconter des contes ». Ces contes ne sont pas vraiment des histoires, mais plutôt de petites charades, chacune plus amusante que la précédente, basées sur les détails et les petits objets de la vie quotidienne, et racontées dans un langage très coloré. La pratique du tire kont est souvent désignée sous les termes krik-krak! ou tim-tim! en raison de la formule d’appel et de réponse propre aux charades.

des garçons haïtiens assis à Port-au-Prince
Des garçons réunis pour la narration Krik-krak à Bois Moquette
Photo: Franck Fontain

Comment fonctionne le krik-krak

Le conteur, celui qui connaît généralement la réponse à la charade, signale le début de celle-ci en criant « Krik ! » À cela, tout le monde répond : « Krak ! »

Lorsque le conteur dit « Krik« , il annonce : « Préparez-vous, j’ai quelque chose à vous faire deviner. » Après que les gens aient répondu « Krak ! », le conteur poursuit : « Tim tim ? » et l’assemblée répond : « Bwa chèch. »

« Je suis peut-être petit, mais j’ai honoré les plus grands hommes. »

À ce moment-là, c’est à la personne la plus rapide de répondre. Les suggestions fusent de tous les coins : bougie ? Stylo ? Carnet ? Et si personne ne connaît la réponse, tout le monde avoue sa défaite en disant : « Mwen bwè pwa. » Alors, et seulement alors, le conteur révèle la réponse à l’énigme. Le krik-krak est une pratique communautaire qui en dit long sur le mode de vie des Haïtiens. Le conte, tout comme la musique et la littérature, contribue à maintenir la langue créole vivante et dynamique.

La pratique du krik-krak / tim-tim est héritée des ancêtres des Haïtiens en Afrique. Dans So Spoke the Uncle, Jean Price-Mars explique que des pratiques similaires apparaissent dans d’autres pays où la majorité de la population descend d’Afrique, comme la Guadeloupe, et que la même formule krik-krak est encore en usage dans certaines régions d’Afrique.

Aux côtés des devinettes, il existe également des histoires racontées aux enfants et aux adultes qui suivent la même formule, et qui participent à la transmission des valeurs collectives et morales de la communauté haïtienne. Certaines histoires, comme Tezin et Ti Soufri, sont largement répandues à travers Haïti. Tout comme les fables et les contes de fées, ces récits portent des leçons morales et reflètent les mœurs sociales.

groupe d'Haïtiens assis sur des chaises et sur un porche dans une cour
Krik-krak à Cayes Jacmel
Photo: Anton Lau

La narration haïtienne : en pleine croissance ou en train de disparaître ?

L’oralité occupe une place extrêmement importante en Haïti, au point que même le Vodou, la religion la plus populaire, se préserve principalement à travers des traditions orales, y compris une forme strictement orale de littérature appelée odyans. Le conte haïtien met en perspective les modes de vie de la classe inférieure et des habitants des campagnes, où des thèmes tels que la propriété, la mort, l’héritage et la famille refont souvent surface — des thèmes familiers dans les contes de fées européens, qui eux aussi se centrent souvent sur la classe ouvrière rurale. Bien que le rite social de raconter des histoires autour des feux de camp soit plus vieux que l’histoire elle-même, et que le jeu de devinettes haïtien en appel et réponse soit ancré dans les modes anciens de narration africaine, le krik-krak! se distingue comme un trésor unique de la culture haïtienne, et l’un qui reflète et co-crée la société haïtienne.

Cependant, puisque les kont se transmettent de génération en génération oralement, certaines histoires racontées rarement risquent de disparaître…

des garçons haïtiens assis ensemble en train de rire
Des garçons réunis pour la narration krik-krak à Bois Moquette
Photo: Franck Fontain

Il y a un festival Krik-krak! en mars, et vous êtes invité(e) !

Depuis 2009, un festival annuel de narration appelé Kont Anba Tonèl – le Festival Interculturel des Contes – est organisé à Port-au-Prince ainsi qu’à Jérémie et dans d’autres villes provinciales. Tenu chaque mois de mars, à partir de la Journée mondiale du conte (le 20 mars), ce festival vise principalement à mettre en valeur les modes de narration haïtiens, en maintenant la pratique du krik-krak! vivante. Et cela semble porter ses fruits – de plus en plus de comédiens se tournent vers une carrière de conteur professionnel, et certaines stations de radio récupèrent des fichiers audio de contes, les archivant pour les conserver et les transmettre aux générations futures que nous espérons voir continuer cette pratique.

Si vous visitez Haïti pendant les deux dernières semaines du mois de mars, vous pourrez assister au festival Kont Anba Tonèl et vous immerger dans une pratique ancestrale. Attendez-vous à entendre une multitude de contes, à assister à des conférences de collecteurs de contes professionnels, et à participer à des ateliers enseignant de nombreux modes de narration, y compris le krik-krak!. Sur ce sujet…

« Krik ? S’habille de pied en cap pour rester à la maison ? » « Krak ! Le lit, bien sûr… »


Rédigé par Melissa Beralus et traduit par Kelly Paulemon.

Publié en mai 2020.


Pèlerinage vodou à Saut d’Eau

foule d'Haïtiens rassemblés sous une immense cascade
Les pèlerins rassemblés au pied des cascades de Saut d’Eau
Photo: Franck Fontain

Sur les traces du pèlerinage vodou vers Saut d’Eau

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La culture haïtienne – nous en parlons souvent ici à Visit Haiti, mais qu’est-ce que c’est exactement ?

La culture haïtienne est un ensemble de concepts, de pratiques et d’identités, incluant la langue créole haïtienne (Kreyol), un ensemble de valeurs morales, des coutumes quotidiennes, l’histoire de la nation moderne d’Haïti (ainsi que l’histoire liée de la République dominicaine et de l’île d’Hispaniola dans son ensemble), et la religion haïtienne : le Vodou.

Écrit Vodou pour le distinguer des traditions vaudou de Louisiane et d’autres régions de la diaspora africaine, le Vodou haïtien est né d’un mélange unique de nombreuses pratiques religieuses africaines et du christianisme, toutes introduites en Haïti durant la période coloniale.

D’après les archives de ventes conservées depuis l’époque coloniale (et encore accessibles dans des collections privées ou à la Bibliothèque nationale de France), on apprend que les plantations abritaient souvent des esclaves issus de jusqu’à dix ethnies différentes. Cela incluait des membres du peuple autochtone Taíno de l’île, dont peu avaient survécu au régime brutal de colonisation et d’esclavage jusqu’alors. Les propriétaires de plantations coloniales recevaient la recommandation de regrouper sur une même plantation des esclaves de différentes ethnies, afin qu’ils n’aient rien en commun, si ce n’est la couleur de leur peau. Parmi les peuples arrachés à leurs terres et envoyés sur les plantations haïtiennes, on trouvait notamment les Fon (Dahomey) du Bénin, ainsi que des Congolais et bien d’autres. Dans Les Mystères du Vodou, Laënnec Hurbon explique que le mot Vodou provient de la langue parlée au Bénin et signifie « pouvoir invisible et redoutable ».

Ce multiculturalisme a permis au Vodou haïtien d’acquérir, au fil des années, des caractéristiques qui lui sont propres et qui lui confèrent toute la richesse qu’on lui connaît aujourd’hui. L’une des racines de cette richesse réside dans le syncrétisme religieux, qui a permis aux pratiques africaines de s’intégrer au christianisme, ainsi qu’aux pratiques autochtones déjà présentes sur l’île. Ainsi, les saints chrétiens sont devenus des lwa vodou, et les célébrations chrétiennes se sont transformées en cérémonies et festivités vodou.

L’une de ces célébrations est le pèlerinage annuel en l’honneur de la Vierge Miraculeuse de Saut d’Eau, près de la cascade magique de Saut d’Eau (appelée Sodo en Kreyol).

jeune fille haïtienne assise derrière une table avec des articles à vendre
Vendeur proposant des offrandes à Saut d’Eau
Photo: Franck Fontain

La Vierge Miraculeuse de Saut d’Eau

Populaire dans les espaces vodou à travers Haïti, la Vierge Miraculeuse de Saut d’Eau est réputée pour apporter chance en amour et succès dans les transactions économiques. Elle est également vénérée sous les noms de Sainte Anne (mère de la Vierge Marie dans la tradition chrétienne), de Petite Sainte Anne (Ti Sent Án en Kreyol) ou simplement de Vierge Miraculeuse.

Chaque année, du 14 au 16 juillet, des fidèles venus de tout Haïti se rendent en pèlerinage à la cascade de Saut d’Eau, située à 60 miles au nord de Port-au-Prince. L’événement attire également des voyageurs curieux du monde entier, désireux d’assister à ce pèlerinage vodou unique en son genre.

pèlerins haïtiens lors d’un rituel spirituel près d’une cascade
Pèlerins se baignant à Saut d’Eau
Photo: Franck Fontain

Comment invoquer la faveur de la Vierge Miraculeuse

Pour obtenir la faveur de la Vierge Miraculeuse, les pratiquants du Vodou se rendent à la cascade sacrée de Saut d’Eau pour effectuer un rituel de purification. Bien que la plupart des pratiquants fassent ce pèlerinage en été, le rituel peut être réalisé à tout moment de l’année.

Le rituel, appelé bain de chance, consiste pour le fidèle à se rendre sur le site sacré avec une calebasse (une gourde fabriquée à partir d’une courge) ainsi que des offrandes destinées à la déesse, avant de se dévêtir et de plonger sous la majestueuse cascade de Saut d’Eau. Les fidèles apportent également une petite collection de feuilles, de plantes et d’herbes associées à la déesse et réputées pour leurs vertus thérapeutiques. S’ils le souhaitent, les suppliants peuvent aussi offrir du sirop d’orgeat, du parfum ou des fleurs, ou encore préparer un repas en guise de preuve de leur bonne foi et de leur loyauté envers le lwa.

Une fois les préparatifs terminés, le suppliant se baigne sous la cascade (soit seul, soit avec l’aide d’un ougan – prêtre vodou), tout en invoquant la protection et les vertus de la déesse. Il est essentiel, à la fin de cette cérémonie, de briser la calebasse qui a servi à transporter l’eau de la cascade pour se laver, et de laisser dans l’eau les vêtements portés par le suppliant lors de son arrivée sur le site – ces derniers symbolisant leur malchance passée. En revanche, les fidèles repartent vêtus d’habits neufs, avec l’espoir d’être désormais imprégnés de la protection et de la chance offertes par la déesse pour l’avenir.

foule d’Haïtiens se préparant pour un bain spirituel près d’une cascade
Saut d’Eau
Photo: Franck Fontain

Faites votre propre pèlerinage

Intrigué ? Bien qu’il s’agisse de l’un des sites les plus sacrés d’Haïti, Saut d’Eau n’est pas fermé aux curieux. Les voyageurs sont les bienvenus pour visiter la cascade à tout moment de l’année. Que vous souhaitiez tenter votre chance en invoquant la faveur des lwa, ou simplement profiter de l’expérience de vous baigner sous une incroyable cascade d’eau douce, entourée d’une magnifique forêt emplie de chants d’oiseaux, vous êtes invité à entreprendre votre propre pèlerinage vers ce lieu si particulier.

La cascade de Saut d’Eau (appelée Sodo en Kreyol) est située à 60 miles au nord de Port-au-Prince, près de Mirebalais. Le pèlerinage a lieu du 14 au 16 juillet, mais le site est accessible aux visiteurs tout au long de l’année (selon l’état des routes).

La majestueuse cascade de Saut d’Eau n’est qu’un des nombreux sites mystiques utilisés pour le rituel du bain de chance vodou, parmi lesquels on compte également le Bassin Saint Jacques et le magnifique Bassin Bleu.

femme haïtienne en robe bleue avec un petit enfant portant un chapeau de paille
Saut d’Eau
Photo: Franck Fontain

Rédigé par Melissa Beralus et traduit par Kelly Paulemon.

Publié en février 2020


Fèt Gede – la Journée Haïtienne des Morts

homme haïtien vêtu d'une chemise violette avec des os humains célébrant le Fèt Gede
Fèt Gede à Port-au-Prince
Photo : Franck Fontain

Fèt Gede – la Journée haïtienne des Morts

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Chaque année, les 1er et 2 novembre, Haïti devient la scène d’une célébration unique : Fèt Gede, le « Festival des Morts ». Tout comme le Jour des Morts pratiqué au Mexique et par les communautés latino-américaines aux États-Unis, Fèt Gede est une façon de rendre hommage aux êtres chers disparus.

En Haïti, chaque religion célèbre cela différemment : les catholiques se réunissent à l’église pour une messe dédiée aux défunts, et les protestants se rassemblent également — mais les adeptes de l’une des religions d’État du pays — le vodou — célèbrent leurs défunts d’une manière beaucoup plus festive. Bien qu’il chevauche le concept et l’espace calendaire de la fête chrétienne des âmes, la Fête Gede tire ses origines des traditions ancestrales africaines, préservées à travers les océans et les siècles dans l’Haïti moderne.

Les spectacles de Gede sont bruyants et extravagants. Ils peuvent être vus presque partout en Haïti, avec des vodouisants habillés de manière élaborée pour représenter le sous-ensemble de lwa ou loa — « esprits » — appelés gede — « les morts ». Les gede peuvent être invisibles pendant le reste de l’année, mais pendant la Fête Gede, les morts ne passent définitivement pas inaperçus !

Découvrez plus de photos d’une célébration de Fèt Gede aux Gonaïves ici !

Vodou, lwa et gede

Le vodou est un élément prédominant de la culture haïtienne, et en tant que religion, il compte de nombreux pratiquants — appelés vodouwizan — répartis à travers le pays. Le syncrétisme religieux entre le vodou et le christianisme a historiquement rendu difficile l’estimation officielle du nombre de pratiquants, puisque la plupart des personnes qui pratiquent le vodou haïtien s’identifient également comme chrétiens. Cependant, des estimations non officielles suggèrent qu’environ 50 % des Haïtiens pratiquent le vodou. Pour ces vodouwizan, la Fèt Gede est une occasion importante d’honorer les morts.

Mais que sont exactement les gede ?

Chaque vodouwizan a son propre gede. Il s’agit soit d’un ami proche, soit d’un parent – le gede est la réincarnation d’un être cher qui est venu de l’au-delà pour vivre dans le corps du vodouwizan qui l’a appelé. Mais tous les ancêtres ne sont pas vénérés en tant que gede. Pour que les morts deviennent un gede, le vodouwizan doit, à travers une cérémonie de Vodou, entrer en contact avec le défunt et le transformer en gede, qu’il peut ensuite invoquer à sa guise.

Dans le vodou, en devenant un gede, les défunts sont transformés d’une simple âme humaine en un lwa, et ce lwa a généralement un nom qui commence par gede, par exemple, gede loray, où loray signifie « tonnerre ». Parfois, un parent qui a servi un gede meurt, et un autre vodouwizan décide de prendre le service de ce même gede.

Fête dans le cimetière

Lors des célébrations Gédé, les rues de chaque ville sont pleines de vodouwizan. Les 1er et 2 novembre, ils se rassemblent autour des cimetières pour faire des dévotions, effectuer des rituels précis et honorer les défunts.

Chaque cimetière de l’île est envahi par des vodouwizan, certains possédés par les gédé, d’autres non. Ceux qui sont possédés sont facilement reconnaissables par leur tenue : habillés de blanc, de noir et de violet, leurs visages recouverts de poudre blanche et de lunettes de soleil noires, une canne à la main et la bouteille indispensable remplie d’alcool et de piments forts (en particulier le kleren et un type d’habanero appelé piment chèvre). Les gédé adorent les piments forts, et de temps en temps, au milieu de la rue, ils versent l’alcool infusé au piment sur leurs corps, et particulièrement sur leurs organes génitaux, se tortillant et imitant des postures et des scènes érotiques, au grand plaisir des spectateurs.

Possédés par les lwa gédé, ces hommes et femmes parcourent plusieurs km à pied en dansant, leurs hanches guidant chacun de leurs mouvements. Suivant une instruction tacite, ils partagent tous une seule destination finale : le cimetière. Une fois au cimetière, le spectacle bruyant se poursuit avec des chants forts, des danses érotiques et des corps trempés de substances épicées. D’autres vodouwizan venus rendre visite à leurs proches décédés prennent le temps de verser du café et du maïs grillé sur leurs tombes, et de parler avec le parent ou l’ami proche.

Mais d’abord, les participants au défilé doivent obtenir la permission d’entrer dans le cimetière auprès de la tombe cérémonielle du « premier homme », Bawon Samdi, et de la première femme, Manman Brijit. Les gédé forment une très grande famille ; Bawon Samdi représente le père, Grann Brijit la mère, et ils sont suivis par Bawon Kriminèl, Gede Nibo, Gede Loray, Brav Gede et Gede Zanrenyen, qui forment ensemble une escorte pour tous les gédé.

Bawon Samdi (/Samedi), également connu sous le nom de Papa Gede, préside les festivités. Les couleurs de Papa Gede sont le noir, le blanc et le violet, et il est souvent représenté en train de fumer des cigares, portant un chapeau haut de forme et des lunettes de soleil – souvent avec un seul verre. Certains disent que cela est dû au fait que Bawon Samdi voit les deux mondes, ce qui lui confère une étrange ressemblance avec le dieu à un œil Odin de la mythologie nordique, qui arpente également le chemin entre les morts et les vivants.

Filles haïtiennes en robes violettes et blanches avec des visages peints qui célèbrent la Fèt Gede
Célébration Fèt Gede
Photo : Kolektif 2 Dimansyon

Comment s’engager

Chaque novembre annonce la célébration sacrée et spectaculaire de la Fèt Gede – un festival bruyant, osé et flamboyant qui incarne de nombreux éléments essentiels de la culture haïtienne, le tout agrémenté de couleurs vives, de plats épicés, de boissons fortes et du rythme des pieds des gens sur le pavé.

Les rituels de la Fèt Gede ont lieu tout au long du mois de novembre, mais sont concentrés les 1er et 2 novembre. Le plus grand et le plus bruyant des défilés a lieu à Port-au-Prince, au Grand Cimetière. Si vous voyagez en voiture, préparez-vous à des foules énormes qui rendent impossible l’accès au cimetière – vous ne trouverez pas de place pour vous garer, mais un chauffeur devrait pouvoir s’approcher suffisamment pour vous laisser descendre. L’entrée se fait par les portes principales, où est inscrit : « Souviens-Toi Que Tu Es Poussière ».


Rédigé par Jean Fils et traduit par Kelly Paulemon.

Publié en octobre 2019