Foule rassemblée dans un cimetière haïtien avec une grande croix pour le rituel de Fèt Gede
Foule rassemblée pour la Fèt Gede aux Gonaïves
Photo: Jean Oscar Augustin

Fèt Gede : Une célébration de la Vie le Jour des Morts

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Tous les ans, se déroulent en Haïti, tout au long du mois de Novembre, des festivités qui, pour un outsider, peuvent sembler, eh bien, assez étranges ! En particulier, la Fête Gédé (Jour des Morts) et la Toussaint, qui impliquent des processions troublantes vers le cimetière de chaque ville à travers le pays.

La foule qui se rassemble est un groupe varié, composé de personnes simplement curieuses ainsi que de personnes de toutes les différentes confessions, y compris le vodou haïtien. Ils se réunissent pour marcher vers le cimetière principal de chaque ville, tout en suivant le spectacle unique que propose la procession. Et quel est ce spectacle, exactement ? Des pratiquants du vodou pris en possession par les Gede, les esprits pour lesquels ces célébrations éblouissantes en Haïti sont organisées.

Vodouisant tenant une machette et des mouchoirs colorés
Un vodouisant célébrant la Fête Gédé, cimetière des Gonaïves
Photo: Jean Oscar Augustin

Dans la spiritualité vodou, les Gede sont les esprits des morts. Ils sont responsables d’accompagner les défunts sur le chemin vers l’autre monde, mais aussi de veiller sur les vivants. Ils constituent ainsi le pont entre le monde des vivants et celui des morts. Deux grandes divinités Gede du panthéon vodou haïtien sont Baron Samedi et Grann Brigitte.

pierre tombale dans un cimetière haïtien pendant le rituel de la Fête Gédé
Rituels de la Fête Gédé au cimetière des Gonaïves
Photo: Jean Oscar Augustin

Ceux qui sont possédés par les esprits gédé donnent le ton à la fête, qui est véritablement carnavalesque. Vous pourriez entendre des mots crus, voir des danses osées et assister à d’autres performances extravagantes. Tout cela offre un grand divertissement pour la foule plus docile qui suit le mouvement.

vodouisant haïtien vêtus de blanc remplissant une bouteille transparente avec un liquide
Un temple vaudou à l’intérieur du cimetière des Gonaïves
Photo: Jean Oscar Augustin

Enjayée par de l’alcool, ainsi que par des infusions à base de piments forts qu’ils aspergent sur leur corps, la procession se dirige vers le cimetière principal. Saisis par les esprits des morts, les possédés jurent et réalisent une performance tout à fait remarquable.

pierre tombale dans un cimetière haïtien avec deux bouteilles de soda et des fleurs
Offrandes sur une pierre tombale pendant la Fèt Gede, Gonaïves
Photo: Jean Oscar Augustin

Le spectacle de la procession attire une foule considérable, et les possédés se distinguent facilement grâce aux couleurs rituelles de Baron Samedi qu’ils portent (blanc, noir et violet). Certains se couvrent même entièrement de poudre blanche ou dessinent des scènes lugubres sur leur corps. D’autres choisissent de revêtir l’habit préféré de Baron Samedi, qui comprend un chapeau noir, un monocle et une canne. Ensemble, cela crée un véritable Carnaval des Morts qui a lieu chaque année dans les cimetières haïtiens.

vodouisant haïtien vêtus de blanc remplissant une bouteille transparente avec un liquide
Préparation pendant la Fèt Gede aux Gonaïves
Photo: Jean Oscar Augustin

Ce Festival des Morts, qui comprend des rituels et des danses tout au long du mois de novembre, témoigne du lien intime qui existe entre le monde des vivants et le monde des morts dans la spiritualité vodou. Pour les pratiquants du vodou, la Fête Gédé est en réalité plus une célébration de la vie. Les esprits gede qui reviennent par l’intermédiaire de leurs hôtes lors de la possession peuvent attester de cette façon de penser. Ils sont animés par la joie et sont des esprits qui aiment rire, danser et s’amuser.

pratiquant du vodou haïtien dansant lors du rituel de Fête Gédé, avec une foule qui observe
Pratiquants du vodou pendant la Fête Gédé aux Gonaïves
Photo: Jean Oscar Augustin

Toutes ces performances extravagantes ont un seul objectif : divertir. Le festival n’est pas un moment de larmes ou de regrets, mais plutôt un temps pour honorer la mémoire des défunts. Cela implique notamment de préparer le festival en nettoyant les cimetières et en rénovant les tombes.

Ceux qui ont navigué vers « le pays sans chapeau » — une expression haïtienne qui signifie « l’au-delà », car personne n’est enterré avec son chapeau — demeurent présents dans la vie quotidienne et sont néanmoins célébrés comme il se doit lors de ce festival qui leur est dédié. Dans la spiritualité vodou, ceux qui ont pris le large pour le monde des morts jouent un rôle important dans la vie de tous les jours. Les esprits de ceux qui ont disparu, portant le nom de Gede, sont respectés comme des gardiens, des conseillers ou des esprits vengeurs par ceux qui restent.

La Fête Gede en Haïti est quelque peu similaire au Jour des Morts tel qu’il est pratiqué dans d’autres régions du monde (par exemple, le Dia de los Muertos). La différence réside toutefois dans la place que les morts occupent dans la croyance vodou et dans le syncrétisme qui sous-tend les différentes croyances des Haïtiens.

cimetière haïtien avec sculpture et ciel bleu parsemé de nuages
Monument pour l’esprit Gede Brav, cimetière des Gonaïves
Photo: Jean Oscar Augustin

En tant qu’héritage des traditions africaines ancestrales, le Vodou réserve une place importante à ceux qui ont quitté ce monde pour le suivant. Dans la procession des Gede, différentes personnes incarnent différentes divinités, notamment Baron Samedi, Baron Lacroix, Baron Criminel, Grann Brigitte et tous les autres esprits Gede. Bien plus que de simples gardiens de la mort et des cimetières, les Gede sont aussi des gardiens de la vie.

Ainsi, la célébration de la Fête Gédé n’est pas seulement une commémoration des morts, mais une célébration où les défunts peuvent participer par le biais de la possession sous la forme des esprits Gédé.

haïtiens rassemblés au cimetière pour le rituel vaudou de la Fête Gédé
Une prêtresse vaudou dirigeant une cérémonie pour l’esprit Brav Gédé, au cimetière des Gonaïves
Photo: Jean Oscar Augustin

Au cimetière principal de Port-au-Prince, où se tient chaque année la plus grande itération de ce festival, les catholiques viennent prier pour les âmes de leurs défunts à la petite chapelle de Notre-Dame des Douleurs, les protestants se rassemblent sur les tombes de leurs proches disparus, et les pratiquants du vaudou viennent pour la plus grande célébration de la Fête Gédé dans tout Haïti.

pratiquants vaudous haïtiens allumant une bougie pendant la Fèt Gédé
Un rituel vaudou lors d’une cérémonie durant la Fèt Gédé aux Gonaïves
Photo: Jean Oscar Augustin

Le festival se situe à la croisée des syncrétismes religieux en Haïti, avec des catholiques et des protestants rejoignant la procession vers les cimetières, chacun adorant à sa manière mais partageant tous les mêmes pensées pour les défunts, pensées teintées des croyances sur lesquelles reposent ces célébrations extraordinaires.

pratiquante vaudou haïtienne au cimetière portant une robe noire et violette
Une cérémonie vaudou pour l’esprit Brav Gede lors de la Fèt Gede, Gonaïves
Photo: Jean Oscar Augustin

Même si la Fête Gédé se déroule autour de la Toussaint et du Jour des Morts, c’est une célébration très différente de celles que l’on peut voir ailleurs. C’est un véritable moment de communion entre les morts et les vivants, ces derniers apportant du café, du maïs grillé, du manioc, du clairin (rhum) ou le plat préféré de l’être cher disparu.

homme haïtien tenant une partie de crâne humain pour la Fête gede
Fête Gédé aux Gonaïves
Photo: Jean Oscar Augustin

On pourrait même être tenté de dire que la Fête Gede est bien plus qu’un simple ensemble de pratiques fondées sur certaines croyances au sujet de la mort : elle constitue plutôt une véritable philosophie de la vie, une vie qui doit être vécue comme un carnaval. Si nous profitons de chaque instant, ce ne sont pas les Gede qui nous contrediront !


Écrit par Costaguinov Baptiste.

Publié en octobre 2022.


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